Fringues, réputation, relations amoureuses, harcèlement, la cour de récré est un condensé de la société, de celle des adultes et des rapports de force.
En passant aux abords d’une école au moment de la récréation, vous vous êtes peut-être revu des années en arrière en train de jouer au ballon, à la corde à sauter, à chat perché ou aux billes.
En y regardant de plus près, on s’aperçoit pourtant que bon nombre d’élèves n’y sont pas heureux. « Dégage, tu ne sais pas jouer », « Ils disent que j’ai pas le droit » », « Ils disent que je suis nulle »… Ils, ce sont les garçons qui ne veulent pas que les filles jouent au foot avec eux. « On s’est rendu compte que pas mal de filles ont envie de participer, remarque Bulle Nanjoud, cheffe de projets au Deuxième Observatoire, à Carouge.
Elles essaient, mais pour une question de légitimité, c’est compliqué de se mêler à la partie de manière durable avec les garçons. »
Après avoir observé durant un an des écoles primaires romandes de la 1P à la 8P dans quatre cantons, l’institut romand de recherche a édité en 2019, un guide* sur les interactions au quotidien à l’école. Si l’agitation et l’énergie y circulent, la cour de récré est loin d’être partagée équitablement. « Quand un terrain de foot occupe 80% de l’espace pour seulement 10% d’enfants, ça veut dire que les 90% restants sont relégués au bord, relève Edith Maruéjouls, docteure en géographie humaine, directrice du bureau d'études L’ARObE et spécialiste des questions de politique publique d’égalité.
Que ce soit les filles, mais aussi les petits, tous et toutes ont besoin d’espace pour s’exprimer. » Une répartition plus juste de l’aire de jeux demande parfois l’intervention des adultes sans qui la cour peut devenir une zone de tensions.
Place commune
Fringues, réputation, relations amoureuses, harcèlement, la cour de récré est un condensé de la société, de celle des adultes et des rapports de force.
« Il y a une hiérarchie de l’espace entre petits et grands, entre garçons et filles, note Mme Maruéjouls. Tout le monde n’arrive pas à s’imposer et on peut y prendre des coups, se faire éjecter. »
L’école est censée aider à grandir, créer du lien et non pas valider la loi du plus fort. « En les laissant jouer à la marge, dans les petits coins, les filles intériorisent les lieux auxquels elles ont droit, estime Mme Nanjoud. Tout comme elles ne s’autorisent pas plus tard à choisir des métiers techniques qu’elles croient réservés aux garçons. » Le manque de mixité dans la cour n’est pas qu’une affaire de performances sportives, mais aussi une histoire de codes, d’appartenance à un groupe. « Même si on s’entend bien en classe, dehors on ne va pas se mélanger, résume Mme Maruéjouls. L’amitié entre filles et garçons n’est pas acceptée. » Pour fréquenter l’autre sexe, soit on est amoureux, soit on a un problème d’ordre sexuel. Afin d’éviter d’être traités de « pédé » ou de « pute », chacun et chacune restent dans son camp.
Pour apporter davantage d’égalité, des enseignants mènent des initiatives.
L’école de Chandieu à Genève a décidé par exemple de faire jouer les filles seules, sans les garçons occupés à une autre activité. Pour améliorer leur technique, des leçons de foot sont dispensées pendant les cours d'éducation physique. « Plusieurs écoles réfléchissent au réaménagement de leur cour afin d’ouvrir les possibilités, indique Mme Nanjoud. Réguler, remettre des règles permet une meilleure dynamique entre les enfants. » Plus qu’un défouloir, la cour de récré est un haut lieu de socialisation où l’enfant échange et partage avec ses pairs des valeurs culturelles communes.
François Jeand’Heur
*Le ballon de Manon et la corde à sauter de Noé
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